26. Un poids en moins

J'ai demandé à Aëlyse de venir me rejoindre dans ma chambre, prétextant de vouloir lui montrer l'avancement de mon nouveau roman. Elle avait à peine eu le temps de franchir le seuil de la porte que je l'avais tirée jusqu'au lit où je me suis laissée tomber à ses côtés. "Il faut que je te parle!" ces quelques mots, sortis dans un souffle, m'ont donné l'impression de me tenir au bord du vide.


Mais je ne veux plus reculer: ma décision est prise, je dois tout lui révéler. "C'est à propos du jour où nous sommes arrivées ici, ensemble...". Aëlyse ne dit rien mais je sens qu'elle m'observe pendant que je fixe la couverture d'un livre abandonné sur mon lit."Lorsque nous sommes arrivée... j'ai senti la présence d'Allister dans ma tête. C'était comme si elle me remplissait entièrement, me submergeant de pensées étrangères aux miennes. Je ne parvenais plus à me concentrer, à démêler mes pensées des siennes, à retrouver les limites de mon corps. Le lien était trop fort et j'ai fini par m'effondrer."


Seul le chant d'un oiseau brise le silence qui s'est installé. "Pourquoi ne pas me l'avoir dit plus tôt?" Ce n'est pas un reproche mais je sens qu'elle ne comprend pas mon silence. Comment lui expliquer que ce contact si intime avec Allister m'a laissée bouleversée? "Je ne comprends pas ce qu'il s'est passé. J'ai eu... peur... je crois. Je voulais essayer de mettre de l'ordre dans mes idées avant d'en parler mais je n'y arrive pas".


"Tu aurais dû nous le dire plus tôt!" dit-elle en souriant. Avant que je puisse faire le moindre geste, Aëlyse est à la porte et appelle Allister à plein poumons. Je l'entends arriver en courant, probablement persuadé qu'il doit y avoir eu quelque chose de grave pour qu'on crie après lui de la sorte. Lorsqu'il arrive dans ma chambre, il se fige en constatant que tout semble normal. Aëlyse le pousse vers le lit: "Il serait temps que vous aillez une discussion tous les deux! Elybiss, Allister pense qu'il n'a pas été un lien assez fort avec ton époque et que c'est à cause de lui que tu as été si affaiblie. Tu ferais bien de lui expliquer qu'il a eu tort".


Sans un mot de plus, elle quitte la chambre et nous laisse plantés là, tous les deux. Je n'ose pas le regarder mais j'ai peur qu'il tourne les talons et se mure une nouvelle fois dans le silence: "Allister?".
Il se laisse tomber à côté de moi, si proche que je pourrais le toucher en tendant la main. Mes pensées se bousculent, les mots refusent de sortir. Moi qui ait l'habitude de les manier au fil des pages, je reste sans voix dans un moment important.


"Je n'ai pas été un ancrage trop faible?". Il a parlé si bas que j'ai presque l'impression d'avoir rêvé. Ses paroles suffisent à faire voler ma retenue en éclat et je lui raconte toute la vérité, incapable de le regarder. Je lui explique que je n'ai pas perçu de pensée claire mais j'ai été comme submergée par un flot d'images, de sons... Que l'ancrage était si fort que je ne savais pas comment rompre le lien. Je ne sais pas si je suis cohérente ni même s'il comprend ce que je lui dit.


Il faut croire qu'il m'a compris car, doucement, je sens sa main se poser sur mon épaule. Il m'attire vers lui et je laisse ma tête tomber sur ses genoux comme avant, lorsqu'il me racontait ma naissance et les histoires de notre monde. Même s'il ne commente pas ce que je viens de lui dire, la distance qui s'était installée entre nous semble tout à coup s'être évanouie...


Commentaires

Enregistrer un commentaire